Nicolas Alexandre Rodriguez, psychologue en ligne et en cabinet, psychothérapeute, psychanalyste
10 questions sur l'injonction de soins
L'injonction de soins peut être décidée à la suite d'un délit ou d'un crime à caractère sexuel. Elle diffère de l'injonction thérapeutique et de l'obligation de soins.
En quoi consiste une injonction de soins ?
Créée par la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs (codifiée à l'article 131-36-4 du Code pénal), l'injonction de soins intervient dans le cadre du suivi sociojudiciaire. Celui-ci consiste en un suivi judiciaire, social et éventuellement médical visant à prévenir la récidive par les délinquants sexuels. Il est prononcé par le tribunal ou la cour en complément ou à la place de la peine privative de liberté.
L'injonction de soins peut être prononcée par la juridiction de jugement, dès lors qu'une expertise médicale a confirmé l'efficacité de prescrire un traitement à la personne poursuivie. Cette expertise doit être réalisée par deux experts en cas de poursuites pour meurtre ou assassinat d'un mineur précédé ou accompagné d'un viol, de tortures ou d'actes de barbarie.
Le président doit avertir le condamné qu'aucun traitement ne pourra être entrepris sans son consentement, mais qu'en cas de refus, il pourra être incarcéré pendant une durée précisée dans la décision de condamnation. Lorsqu'une injonction de soins s'ajoute à une peine privative de liberté non assortie du sursis, la personne condamnée doit être informée qu'elle peut commencer un traitement pendant l'exécution de cette peine.
Qui assure la mise en place de cette injonction ?
L'article L.3711-1 du Code de la santé publique (CSP) précise que le juge de l'application des peines désigne, sur une liste de psychiatres ou de médecins ayant suivi une formation appropriée, établie par le procureur de la République, un « médecin coordonnateur ». Ce dernier va convoquer la personne condamnée pour un entretien portant sur les modalités d'exécution de cette mesure. Il va également l'inviter à choisir un médecin traitant et, éventuellement, la conseiller dans ce choix.
Le médecin coordonnateur est également chargé de transmettre au juge de l'application des peines ou à l'agent de probation les éléments qui permettront de contrôler l'injonction de soins. Il convoque au moins une fois par an la personne condamnée afin de réaliser un bilan de sa situation et de transmettre au juge de l'application des peines les éléments nécessaires au contrôle de l'injonction de soins (art. R.3711-21 du CSP). Il peut refuser d'avaliser le choix d'un médecin traitant par la personne condamnée, s'il estime que celui-ci n'est pas en mesure de conduire la prise en charge d'auteurs d'infractions sexuelles.
Existe-t-il des mesures spécifiques pour les mineurs et les majeurs protégés ?
L'article R.3711-12 du CSP prévoit le cas des mineurs et des majeurs protégés. Pour les premiers, le choix du médecin traitant est effectué par les titulaires de l'autorité parentale ou, à défaut, notamment en cas de désaccord entre le père et la mère, par le juge des tutelles. L'accord du mineur sur ce choix devra être recherché. Dans le second cas, ce choix est effectué par l'administrateur légal ou le tuteur, avec l'autorisation du juge des tutelles ou du conseil de famille.
En quoi consiste le rôle du médecin traitant ?
Lorsqu'il est sollicité, le médecin traitant doit, dans un délai de quinze jours, confirmer son accord au médecin coordonnateur par écrit. L'article L.3711-3 du CSP prévoit qu'il peut informer le juge de l'application des peines ou l'agent de probation de l'interruption du traitement par la personne condamnée, sans que le respect du secret médical puisse lui être opposé. Il doit dans ce cas informer aussi le médecin coordonnateur. En cas de difficultés liées au suivi de ce traitement, le médecin traitant peut en faire part au médecin coordonnateur, qui peut choisir d'avertir le juge de l'application des peines ou l'agent de probation. Le même article prévoit que « lorsqu'il a été agréé à cette fin, le médecin traitant est habilité à prescrire au condamné, avec le consentement écrit et renouvelé, au moins une fois par an, de ce dernier, un traitement utilisant des médicaments dont la liste est fixée par arrêté du ministre de la Santé et qui entraînent une diminution de la libido [.] ». Notons que cet arrêté n'est pas paru.
Le médecin traitant a accès, par l'intermédiaire du médecin coordonnateur, à tous les documents qu'il juge utiles : rapports des expertises médicales, ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, arrêt de mise en accusation. Le médecin traitant délivre des attestations de suivi du traitement à intervalles réguliers, afin de permettre au condamné de justifier de l'accomplissement de son injonction de soins auprès du juge de l'application des peines (article L.3711-2 du CSP).
Les psychologues peuvent-ils prendre en charge une injonction de soins ?
L'article 26 de la loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales, codifié à l'article L.3711-4-1 du CSP, prévoit que « si la personnalité du condamné le justifie, le médecin coordonnateur peut inviter celui-ci à choisir, soit en plus du médecin traitant, soit à la place de ce dernier, un psychologue traitant dont les conditions de diplôme et les missions sont précisées par décret ». En revanche, le psychologue n'a pas le pouvoir de prescription. Cette disposition reprend l'une des propositions du rapport d'information du 7 juillet 2004 de la commission des lois de l'Assemblée nationale sur le traitement de la récidive.
Remarque : selon le ministère de la Santé, le projet de décret sur le psychologue traitant est « en cours d'élaboration ».
Quels sont les obstacles à l'injonction de soins ?
Comme l'a rappelé Emmanuelle Perreux, présidente du Syndicat de la magistrature, devant la commission des lois du Sénat (rapport n° 358 déposé le 3 juillet 2007) à l'occasion du vote de la loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, « il demeure difficile de recruter des médecins coordonnateurs compte tenu en particulier de la modestie de la rétribution : 427 euros pour l'année par personne dans un suivi complet et 213 euros si le suivi est de trois mois ». Dans son rapport, la commission souligne : « Certaines juridictions n'auraient pas pu établir de listes de médecins coordonnateurs empêchant, en pratique, l'application de l'injonction de soins ordonnée par le juge. » Selon la contribution de l'Association nationale des juges de l'application des peines, le nombre de médecins coordonnateurs s'élèverait à 90. Près de la moitié des 82 tribunaux de grande instance interrogés ne disposerait pas de médecin coordonnateur.
Comment développer les injonctions de soins ?
Seulement 645 suivis sociojudiciaires ont été prononcés en 2002, concernant moins de 8 % des délinquants sexuels incarcérés. Pour encourager leur développement, la mission d'information de l'Assemblée nationale, constituée le 4 mars 2004 sur le traitement de la récidive des infractions pénales, préconisait non seulement d'autoriser la prise en charge de l'injonction de soins par un psychologue, mais aussi d'introduire un enseignement spécifique sur les délinquants sexuels dans la formation initiale et continue des psychiatres et des médecins traitants.
Que prévoit la loi « Dati » renforçant la lutte contre la récidive ?
La loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs prévoit que « sauf décision contraire de la juridiction, la personne condamnée à un suivi sociojudiciaire est soumise à une injonction de soins », dès lors qu'un médecin a reconnu une possibilité de traitement. Le refus de cette injonction par la personne condamnée est plus lourd de conséquences, puisqu'il peut aboutir à une privation de réduction de peines et de libération conditionnelle.
Considérant notamment que le législateur a « expressément préservé la possibilité pour la juridiction ou le juge d'application des peines de ne pas prévoir cette injonction de soins », le Conseil constitutionnel a validé ces dispositions législatives (décision n° 2007-554 du 9 août 2007). Pour les dispositions qui privent les personnes incarcérées du bénéfice des réductions supplémentaires de peine comme pour la privation de libération conditionnelle en cas de refus de se soumettre à un traitement, le Conseil constitutionnel a estimé de la même manière que ces dispositions « font toujours intervenir une décision juridictionnelle qui ne revêt [donc, NDLR] aucun caractère d'automaticité ».
Quelle est la différence entre obligation de soins et injonction de soins ?
Une obligation de soins peut être prononcée dans le cadre d'un contrôle judiciaire, son refus pouvant entraîner une mise en détention provisoire, en cas d'ajournement du prononcé de la peine ou au moment du jugement, en cas de sursis avec mise à l'épreuve. Aucune obligation de soins ne peut être prononcée à l'encontre d'une personne détenue. L'injonction de soins est plus « encadrée » que l'obligation, elle s'inscrit obligatoirement dans le cadre d'un suivi sociojudiciaire. Par ailleurs, le détenu est incité à débuter des soins en détention.
Quelle est la différence entre injonction thérapeutique et injonction de soins ?
L'injonction thérapeutique autorise le procureur à ne pas poursuivre un consommateur de stupéfiants si celui-ci accepte de se faire soigner. Elle a été créée par la loi du 31 décembre 1970. La loi du 5 mars 2007 de prévention de la délinquance, dont le décret d'application a été pris 26 septembre 2007, a créé la fonction de « médecin relais », responsable de la mise en œuvre de l'injonction thérapeutique (art. 47). Celui-ci devra notamment apprécier l'opportunité médicale de la mesure. Il adresse la personne concernée à un centre spécialisé de soins aux toxicomanes ou à « un médecin de son choix ou, à défaut, désigné d'office pour suivre un traitement médical ou faire l'objet d'une surveillance médicale adaptés ».
La durée de la mesure a été fixée à six mois, renouvelable trois fois (art. 49). L'injonction thérapeutique a également été étendue par la loi à l'encontre d'une personne ayant « une consommation habituelle et excessive de boissons alcooliques ».
Remarque
2006, dans un avis rendu à propos du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance (n° 477), la commission des affaires sociales du Sénat évaluait à « seulement 6 % environ la proportion de consultations et d'admissions de toxicomanes dans les centres de soins agréés faisant suite à une [interpellation pour usage de stupéfiants] ».